Début octobre 1977 : Edmond
Il est 18 h passées, je suis à mon bureau au 31 rue de Fleurus dans le 6e, je voulais terminer un boulot pour préparer la tournée que je devais faire prochainement en Eure et Loir pour entretenir et développer la vente des journaux Fleurus (où je travaille depuis cinq ans) et mon téléphone sonne...
Je décroche, « Philippe Meyer bonsoir » et un gars me dit : « Oui, bonsoir, je m’appelle Gérard Carles, je suis coordinateur du secteur information à la confédération et Edmond Maire m’a demandé de t’appeler, il souhaite te rencontrer pour te parler d’un projet qu’il a pour le secteur info » et moi ... « Edmond Maire ? Et moi, je suis le Pape ! »
« Mais camarade, c’est sérieux, je t’assure, Edmond a discuté avec des journalistes CFDT (dont Jacques Ferlus, rédacteur en chef de Fripounet et Pierre Marin rédacteur en chef de Formule1), qui lui ont parlé de toi. Edmond a envie de créer un nouveau service pour développer la vente des journaux de la conf, mais je ne peux pas t’en dire plus, il voudrait te voir. Quand pourrais-tu venir rue Cadet ? Mercredi, à 14 h ça te va ? »
Je me demande ce qui m’arrive, je « flotte » un peu et je réponds « oui, d’accord pour mercredi 14 h au 5 rue Cadet »
Pour mes petits enfants et ceux d’entre vous qui sont encore un peu jeunes, il faut dire en quelques mots qui était Edmond Maire : Secrétaire Général de la CFDT (Confédération Française Démocratique du Travail) depuis quelques années, c’est un des fondateurs de ce syndicat en 1964 après une scission de la CFTC (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens).
De plus, au sein de la Commission Exécutive, l’équipe « dirigeante », qui comportait dix membres, chaque membre était le « patron » d’un secteur et Edmond était le patron du secteur information qui comportait notamment les rédactions de Syndicalisme Hebdo et du mensuel CFDT Magazine.
Il était donc le « grand patron » du deuxième syndicat de France derrière la CGT (Je ne rentre pas dans le calcul du nombre de timbres mensuels payés par un adhérent … Chacun avait ses ratios)
Le soir, j’en parle bien sûr à ma femme et je vais voir un copain qui lui travaille encore aux Ponts et Chaussées, c’est par lui que j’ai adhéré à la CFDT en 1972, je lui raconte ce qui m’arrive et lui demande son avis.
Il me dit « écoutes va voir Edmond et tu verras ce qu’il te dit et ce qu’il te propose » et moi « ouais, mais je suis très bien à Fleurus et j’adore mon boulot, d’un autre côté ; travailler avec Edmond Maire … c’est tentant ».
Mais comment c’est possible, je l’ai encore vu à la télé il y a quelques jours quand il a rencontré le Premier ministre et aujourd’hui il veut me voir !
Le lendemain, je vais voir mon « chef » Joël (qui est le directeur commercial des journaux Fleurus), c’est lui qui m’a embauché comme animateur de diffusion (sur 18 départements de la région Centre) début 73 et il m’a semblé logique de lui raconter ce qui m’arrivait.
Il m’écoute et paraît un peu gêné, il apprécie mon travail et l’ambiance que je mets dans le groupe des huit animateurs et dans le service et moi j’ai exactement les mêmes appréciations sur lui.Il me dit « Philippe, c’est à vous de voir, personnellement, je préférerais que vous restiez avec nous, mais ...»
Je vais voir aussi Pierre Marin qui me confirme qu’il fait partie de ceux qui ont parlé de moi à Edmond à l’occasion d’un congrès du syndicat des journalistes CFDT. Il me dit que ce que je fais depuis cinq ans à Fleurus en tant que secrétaire de la section CFDT qui est passée de 5 à 50 adhérents, la vente de plus de 50 « CFDT Magazine » (mensuel de la conf) et mon boulot d’animateur de diffusion des journaux Fleurus « tout ça fait que tu es peut-être le bon candidat qu’ Edmond recherche ; tu en parleras avec lui demain ». Je ne pouvais pas imaginer un tel scénario.
Le lendemain, propre sur moi, mais sans cravate, j’entre au 5 rue Cadet juste avant 14 h, je suis très impressionné et je donne presque timidement, à l’hôtesse d’accueil, mon nom en disant que j’ai rendez-vous avec Edmond Maire. Elle passe un coup de fil à la secrétaire d’Edmond et m’invite à prendre l’ascenseur, « c’est au 6e étage, Edmond vous attend ».
La porte du 6e étage s’ouvre (44 ans après, je revois très bien la scène) : Edmond est là, il vient me serrer la main « Ah, Philippe, merci d’être venu, tiens assieds-toi ».
Son accueil me met à l’aise (j’en avais besoin), je lui dis d’ailleurs que moi, je le connais bien par la presse CFDT, les télés et radios, mais « toi, tu me vois pour la première fois », il sourit et me dit « tu as raison, mais on m’a beaucoup parlé de toi »
Il s’en suit une discussion de près de deux heures pendant laquelle il me parle de la CFDT et du service promotion de la presse confédérale qu’il souhaite créer et dont il me propose de prendre la responsabilité « Tu travailleras sous ma responsabilité directe »…. Je lui dis que cette proposition m’intéresse, mais je souhaite y réfléchir un peu, car j’aime beaucoup mon travail actuel à Fleurus … d’accord me dit-il, on se revoit vendredi à 14 h ? C’est d’accord.
Le vendredi, je reviens le voir et c’est, à nouveau, une rencontre qui durera deux heures. Il restait une question à voir ; le salaire. Edmond me dit qu’il a étudié ça avec le responsable de la question et m’annonce un salaire d’environ 4200F, je crois.
Je n’y avais pas réfléchi et je fais le calcul de tête de mon salaire + l’intéressement et je lui dis : « C’est bien et je ne demande pas à gagner plus qu’à Fleurus, mais si je ne gagnais pas moins, ça serait mieux. Je viens de calculer, entre mon salaire et l’intéressement, j’ai actuellement 4500F. »
Edmond passe un coup de fil à Victor et la question est réglée.
Je n’en reviens toujours pas et en m’engouffrant dans le métro « Rue Montmartre » je me dis que je suis en route pour une nouvelle aventure.
Quarante ans après, le 8 septembre 2017, avec une trentaine d’autres destinataires, je reçois un mail d’Edmond « Cet été ma santé s’est dégradée … Trop tôt pour dire les évolutions et les traitements possibles ….. » et il termine en disant « Très cordialement, je vous embrasse. Edmond »
« Je vous embrasse », d’ordinaire, il n’aurait jamais dit ça. Il était certainement chaleureux, mais il n’était pas dans ses habitudes de parler comme ça. Ce « je vous embrasse » m’a fait peur.
Et le 1er octobre l’annonce de sa mort à la radio m’a fait mal.